Dans l’empire de Grif’, le temps est venu de faire renaître le phénix de l’empereur. Le jeune et talentueux Januel est choisi par la guilde des phéniciers pour s’acquitter de cette tâche. Mais un incident se produit au cours du rituel : l’empereur est tué et le phénix trouve refuge… dans le coeur de Januel. Obligé de fuir, le jeune phénicier entreprend un voyage semé de dangers et d’embûches pour comprendre ce qu’il s’est passé et prouver son innocence… Parviendra-t-il à maîtriser le phénix qui palpite en lui ?

Une fois n’est pas coutume, je n’ai pas aimé un Mathieu Gaborit.
Mais alors pas du tout.

Je vous vois déjà pousser les hauts cris : comment ? Mais que se passe-t-il ? 2020 est-elle donc une année si pourrie ?
On le dirait donc. Heureusement que je n’ai pas encore tout lu de cet auteur, et qu’il me reste à vous parler, un de ces jours, de Soupir, qui lui est une vraie pépite comme l’homme sait en créer. Mais revenons pour l’instant à nos Féals.

L’histoire nous présente Januel, un jeune phénicier (= qui s’occupe des Phénix) orphelin, vivant reclus du M’Onde dans la tour de son ordre. Vers la fin de sa formation, alors qu’il présente de grandes capacités, il est choisi pour procéder à la résurrection du Phénix de l’empereur, un évènement hautement politique.
Accompagné de son maître, il se rend donc à la capitale de l’empire, sous haute surveillance du clergé grifféens (= qui s’occupe des Griffons), mais la renaissance se passe hélas très mal, et Januel est forcé de fuir, emportant avec lui le Phénix caché dans son cœur.
Pour se disculper et tenter de comprendre ce qui a rendu le Féal hors de contrôle, Januel doit aller à la tour maîtresse de son ordre, plus profondément dans l’empire, alors que tout le clergé grifféen et les troupes régulières sont à ses trousses. Il sera heureusement aidé de Scende, une mercenaire draguéenne (= du pays des Dragons), au service de son maitre qui lui a demandé de veiller sur lui.
En chemin, Januel apprendra qu’il appartient à une plus grande destinée : il est l’élu des Ondes, la force de vie qui commande au M’Onde, et doit mettre fin une bonne fois pour toute à la menace que fait peser la Charogne, le royaume des morts, sur leur monde.

Cette trilogie présente pour moi deux gros défauts, que je pensais pourtant ne jamais voir accolés au nom de Mathieu Gaborit :

1/ L’écriture. Alors oui, là c’est censé vous en boucher un très gros coin, après le foin que je fais toujours concernant sa plume. Et bien là, c’était banal. Pas mauvais, hein, clairement : on reste sur la qualité de quelqu’un qui sait écrire, qui a un bon rythme et des idées.
Mais en termes de stylistique, c’est franchement pauvre par rapport à ce à quoi il nous a habitués. Peu d’images, et quand elles y sont c’est plutôt classique ; la poésie manque cruellement malgré quelques tentatives et flamboyances notamment dans le tome 3 ; il n’y a pas ce souffle, cette vie insufflée à l’œuvre par le biais des mots (ce qui est d’autant plus ironique vu le thème et le héros).
Alors oui, ça se laisse lire, et c’est justement pour moi le problème : le style est secondaire et non plus un protagoniste ; on glisse sur l’écriture, on l’oublie pour mieux se concentrer sur l’histoire.
Sauf que l’histoire…

2/ … est un gros cliché. Avec un manichéisme un peu adouci, mais hélas toujours présent (les méchants du royaume des morts sont tous moches/horribles et deviennent forcément méchants une fois morts, parce que hé, si tu ne l’étais pas au moins un peu au fond de toi, malgré ta vie tranquille de citoyen lambda, ben les gentils de l’Onde seraient venus te chercher, non ?).
On a un élu, un jeune garçon orphelin qui est franchement extraordinaire, et sur qui le sort du M’Onde repose, avec un mentor qui finit par disparaître pour le renforcer.
Je ne parle même pas des relations entre personnages qui m’ont donné envie de hurler à certains moments (vous connaissez le coup de foudre du jeune héros pour la première femme, bien plus agée que lui, qu’il rencontre dans sa vie, qui n’est évidemment pas disponible car isolée dans son grand amour perdu, mais que bon, ben, parce que c’est le héros et qu’il la harcèle un peu beaucoup aussi faut dire, ben elle va finir par dire oui ?), et qui ont parfois l’air de sauter d’une idée à l’autre (opposée, of course), comme ça, parce que ça arrange le scénar. Lequel a aussi parfois des trous (l’exemple que j’ai est totalement annexe, mais assez symptomatique : à un moment, deux héros doivent enfiler une armure très spéciale pour s’infiltrer dans une ville. La personne qui leur donne l’armure, après moult réticences, leur dit bien « Quand vous enlèverez le casque, brûlez-le, personne ne doit s’en emparer. » Ce que nos héros jurent. Eh bien une fois en ville, on enlève armures et casques, qui… restent à traîner parce que visiblement tout le monde a oublié ce détail.), pas forcément très importants mais ça devient pénible quand ça s’accumule et qu’on a l’impression que de l’auteur au(x) relecteur(s), c’est passé totalement à la trappe.
Les raccourcis sont aussi légions, autant en termes de narration que d’évolution de personnages, et la crédibilité en prend parfois (souvent) un sacré coup.

Concernant l’univers, il a été vanté comme terriblement original, visiblement.
Bon certes il y a de l’idée, mais là encore on est loin des concepts novateurs que peuvent nous proposer un Abyme ou un Soupir.
Si les différents Féals (comprenez : des créatures surnaturelles tels les Phenix, Licornes, Dragons, Griffons) sont plutôt classiques, leur magie et leur origine sont assez sympas, de même que les liens très profonds qu’ils peuvent tisser avec leurs adorateurs. Le concept de Fiel, sorte de force naturelle bestiale qu’ils abritent en eux et qui a conduit à la Guerre des Origines, avant qu’ils n’apprennent à la maîtriser mais qui reste une menace, est pas mal, mais il est à mon sens un peu trop pratique : quelque chose va mal ? C’est le Fiel, bien sûr !
J’ai en revanche trouvé assez dommage qu’on se concentre principalement sur les Féals qui sont les moins inhabituels, et qu’on laisse (presque) totalement de côté certains autres, qui sont pourtant bien plus intrigants.
Le côté « un peuple = une ambiance » est très typé fantasy, mais on évite heureusement le cliché des elfes, nains et autres humanoïdes, pour parler plutôt de cultures. Ainsi, les Grifféens seront plutôt européens, les Tarasquiens asiatiques, quand les Licornéens sont clairement arabes.

Au niveau des personnages, Januel est sympathique au début dans son rôle assez naïf et ignorant du M’Onde, mais il laisse ensuite la place à un duo « je suis l’élu/je suis amoureux » qui rend bon nombre de ses décisions irrationnelles, et a largement contribué à m’éloigner de lui.
Scende m’a rapidement agacée, dans son cliché de la mercenaire badass et trop belle, mais dark et dépressive, seule mais bon quand même le gamin là, il est mignon alors pourquoi pas se laisser séduire…
Les différents maîtres sont bien des mentors de fantasy : vieux, pleins de connaissances mais je n’en dirais pas trop parce qu’il ne faudrait pas que l’intrigue se dévoile trop vite, je peux me sacrifier pour aider le petit con qui n’en fait qu’à sa tête.
Tschan, un archer, ancien compagnon mercenaire de Scende (qui est évidemment amoureux d’elle mais se fait rejeter, olalala) est peut-être le plus agréable de tous : son côté un peu désespéré colle à l’univers, lui tente des choses sans être quelqu’un d’exceptionnel (même si le coup de sa main traumatisée qui revient comme par magie… euh, WTF ?) et on n’en fait pas des caisses sur lui.
Et enfin, dans le tome 3, on suit un peu plus les jeunes phéniciers rescapés de l’invasion de la Charogne, qui tentent de monter une résistance et s’allient aux Licornéens. Les leaders de ces phéniciers sont plutôt sympas, pauvres ado jetés dans un monde écrasant avec une responsabilité énorme, et eux la prennent sans se plaindre ou s’apitoyer sur leur sort. Pour autant leur dévotion aveugle à Januel est un peu énervante, mais bon, ça passe.

Malheureusement pour moi, cette trilogie est très représentative de ce que propose Bragelonne, et dont je suis revenue depuis plusieurs années.
Je ne dis pas que c’est nul : j’ai découvert la SFFF avec Brag’, et je leur serais toujours reconnaissante d’avoir joué ce rôle introducteur au genre, de m’avoir fait rencontrer notamment Dave Duncan ou David Gemmell, qui a eu une énorme influence sur moi même si aujourd’hui je navigue vers d’autres eaux mais ce petit sentiment de nostalgie à l’évocation de ses titres m’étreindra toujours.
Cependant s’il y a de (très) bonnes choses dedans, il y a aussi beaucoup de moyen. Et cette trilogie en est, à mon sens, un exemple typique. Un style qui ne cherche rien et une histoire qui laisse beaucoup trop voir ses défauts, au point de lasser et d’avoir juste envie de finir pour passer à autre chose.
Le plus amusant étant qu’à la fin de l’intégrale, l’édition de Bragelonne nous présente deux nouvelles, sortes de bribes introductrices à l’univers, concernant des aspects qui ne sont que peu ou pas du tout développés dans les romans : eh bien là, ces tares s’estompent totalement, et j’ai quand même fini ma lecture sur une note plutôt plaisante, en me disant que ouf, ce n’était qu’une petite erreur de parcours (« petite erreur » qui a quand même été adaptée en JdR, comme quoi, l’univers reste quand même riche, et tous les goûts sont dans la nature, et heureusement !)